Pierre Ickowicz rejoint en 2006 l’entreprise familiale de matériels et consommables apicoles créée en 1947 par son grand-père. Il décide en 2018 de faire rentrer un partenaire financier à son capital pour développer l’entreprise d’une manière soutenue, en France et à l’international.
Quels furent les éléments déclencheurs de l’opération ?
Les défis de ces dernières années ont été de structurer, hiérarchiser, digitaliser l’entreprise ainsi que de redéfinir l’intégralité de l’offre pour l’adapter à la distribution spécialisée, plus grand public. Nous avons également mis beaucoup d’effort pour démocratiser l’apiculture, la rendre plus attrayante et accessible.
En une dizaine d’années nous sommes passés de 6 M€ à 26 M€ de chiffre d’affaires tout en améliorant la rentabilité et en captant plus de la moitié du marché français. Chaque point supplémentaire devenait de plus en plus difficile à obtenir.
Nous avions le plus gros chiffre d’affaires en Europe mais 80% de ce dernier était réalisé en France. Pour maintenir une croissance à deux chiffres, il était indispensable de se développer partout en Europe et mener des opérations de croissance externe.
Cette stratégie était nouvelle pour moi. Je ne voulais pas supporter cette nouvelle évolution et me retrouver une fois de plus seul à la barre. J’ai donc commencé à réfléchir pour faire entrer un partenaire au capital.
N’a-t-il pas été difficile de se séparer d’une partie de l’entreprise familiale ?
Il y a ne serait-ce que trois ans, il était pour moi inimaginable de céder des parts familiales et encore moins à un investisseur financier. La société évolue vite et on évolue avec. J’ai gagné en maturité au fil du temps, ce qui m’a permis de prendre du recul et réfléchir aux intérêts propres à l’entreprise. Cela demande une grande remise en question.
Avant de prendre une quelconque décision j’ai eu besoin de l’aval de mon père, le poids familial étant un verrou considérable. Il a eu un discours libérateur.
Il a eu un discours libérateur en m’indiquant que j’avais su monter l’entreprise au plus haut et que, comme un produit commercial, il était temps de saisir les opportunités. Il ne fallait pas que l’affect m’empêche de faire ce qui était bon pour son développement.
Pourquoi être passé d’une cession minoritaire à majoritaire, d’un investisseur industriel à financier ?
J’ai dans un premier temps voulu faire rentrer un partenaire stratégique de manière minoritaire pour bénéficier de synergies et d’une stratégie, que ce soit à l’international ou sur le marché européen.
Initialement, je ne voulais pas tomber entre les mains d’un financier, lorsque l’on ne connait pas ce milieu les préjugés vont bon train…
Après une longue réflexion, une année difficile et la connaissance d’une valorisation potentielle, j’ai décidé de partir sur une cession majoritaire. Je voulais alors prendre du recul et sortir de l’opérationnel. Je voulais pouvoir passer plus de temps en famille, avec mes enfants et avoir plus de liberté tout en diminuant l’anxiété du patron.
Je me suis vite aperçu que les fonds offraient des valorisations nettement supérieures à celles des industriels. De plus, j’avais compris que rejoindre un industriel signifierait surement la disparition de l’identité de l’entreprise.
A l’inverse, lorsque l’on commence à travailler avec un fonds on peut penser qu’ils vont être moins impliqué, moins attaché à la marque ce qui est faux. Le fonds est en réalité le partenaire qui respecte au mieux l’essence même de la marque car il est uniquement focalisé sur l’entreprise.
Comment vous êtes-vous entouré pour réaliser cette cession ?
Je ne voulais pas négocier en direct avec un fonds d’investissement. Il me paraissait indispensable de faire appel à une banque d’affaires, ce qui m’a poussé à mettre en concurrence deux acteurs spécialisés. J’ai finalement choisi un conseil de grande renommée qui bénéficie d’une machine bien huilée.
Le conseil en fusions-acquisitions a réalisé un teaser de grande qualité et l’on a travaillé sur un mémorandum digne de ce nom.
Ils ont su créer de l’appétit et connaissent parfaitement les contreparties, les codes, que ce soit au niveau des acquéreurs financiers ou industriels.
Quand vous faites appel à un conseil en fusions-acquisition de ce type, les contreparties savent déjà que l’entreprise va se payer chère.
Un acquéreur qui avait déjà fait une offre par le passé est revenu par ce canal avec 12 M€ de plus sur leur copie. Il ne faut surtout pas faire l’erreur de partir tout de suite en négociation avec des fonds, les valorisations ne seront pas du tout les mêmes.
Avez-vous eu recours à une Vendor Due Diligence ?
J’ai également fait appel à un grand cabinet d’audit pour effectuer une VDD (NDLR : audit de cession) ainsi que pour l’accompagnement juridique.
Le cabinet de due diliigence a été pour moi la rencontre de l’année, l’acteur majeur à mes côtés durant cette opération et toujours depuis.
Ils ont fait preuve d’un professionnalisme hors pair et ont été plus que disponible. J’ai été tout simplement charmé et j’ai compris que des spécialistes peuvent parfaitement aider un entrepreneur même dans un marché de niche comme le mien.
Effectuer une Vendor Due Diligence est indispensable.
J’ai hésité au début car cela coûte est relativement onéreux, mais j’ai rapidement compris l’importance de faire soi-même un audit de son entreprise. Il faut avoir toutes les cartes en main et ne pas laisser l’avantage à l’acquéreur qui se servira de toutes les informations possibles pour faire baisser le prix de cession.
La force est d’être accompagné par des gens de confiance, qualifiés et outillés pour réussir l’opération. Il faut également prendre le temps de comprendre les montages effectués, de se familiariser avec ce nouveau vocabulaire financier très riche en abréviations. Tout est une question de logique et ce n’est pas difficile d’être alaise avec ces mécanismes au fil des semaines.
Comment avez-vous abordé le sujet de la cession avec vos collaborateurs ?
Je suis quelqu’un de très direct, transparent et ouvert, c’est ma manière de fonctionner. J’ai commencé par intégrer le cercle proche de mon équipe à l’opération.
C’est pour moi une marque de confiance, et pour eux c’est un signe fort.
Nous avons choisi ensemble le partenaire qui nous rejoindrait. J’ai trouvé important de les intégrer parce qu’ils vont devoir travailler main dans la main à l’avenir.
Je conçois parfaitement qu’il soit compliqué dans d’autres sociétés de le faire. Certains collaborateurs peuvent paniquer, j’ai dû moi-même les rassurer à plusieurs reprises.
Intégrer son équipe à l’opération permet également de se décharger et de mener le process de cession d’une manière plus sereine, avec beaucoup plus de recul en se consacrant uniquement aux négociations.
Quel est votre regard sur l’opération ?
Céder son entreprise est un ascenseur émotionnel. Il y a quand même une culpabilité de vendre. On se pose beaucoup de questions.
Je dis que je veux vendre, mais avec du recul est-ce que je le veux vraiment ? J’existe via mon statut de patron, quel va être le regard des gens qui m’entourent, de mes enfants ?
Aujourd’hui je ne me pose plus la question, il y a encore des moments de doute sur le fait de savoir si j’ai bien fait de rester présent sur le plan opérationnel.
Il y a encore des moments de stress que l’on tolère moins bien une fois la cession actée, on a tellement porté de choses durant ces années de labeur que l’on devient réfractaire aux contrariétés.
Dans tous les cas je ne regrette rien et je le referai sans aucune hésitation.
Quels souvenir gardez-vous de cette période ?
Une période riche en émotions.
On traverse avec les conseils des épreuves mouvementées : due diligence, session Q&A, choix du partenaire, acceptation des offres, surenchère etc .. jusqu’au closing et ses 5 mètres de trieurs de documents à signer.
C'est sans compter quelques semaines plus tard le diner de closing avec la remise des tombstones (NDLR : trophées souvenir). Vous passez des moments importants avec eux, vous grandissez, vous êtes changé et devenez un nouveau patron avec de nouvelles connaissances financières, stratégiques et un réseau. Vous faites aussi de belles rencontres sur le plan humain.
Ses conseils
Identifier le bon conseil en fusions-acquisitions, en rencontrer deux
Ne pas s'arrêter sur le coût des conseils, mais le percevoir comme un investissement
Faire une Vendor Due Diligence pour avoir toutes les cartes en main
Bien structurer la cession avec un fiscaliste spécialisé