Entrepreneur dans l’âme, habité par un savant mélange de sensibilité et de détermination, Christophe Thuard réussit avec brio l’opération d’adossement sur son entreprise Edition Limitée au groupe PM Studio. Créée en 2008, cette société spécialisée dans la conception et la vente d’objets publicitaires et de packaging pour marques premium lui a permis de se construire une solide expérience d’entrepreneur. Et c’est seulement aujourd’hui, après toutes ces années de travail et cet adossement, qu’il assume de son propre aveu sa position de chef d’entreprise.
Désormais COO du groupe acquéreur PM Studio, Christophe s’épanouit en qualité de dirigeant. Les enjeux sont plus importants, en copilotant un chiffre d’affaires de 65 m€, avec une structuration qu’il œuvre à mettre en place pour assurer la pérennité et la poursuite de la croissance de l’activité.
Christophe Thuard s’autorise au passage un clin d'œil tendre et amusé au jeune homme de 14 ans qu’il était à l’époque, dyslexique et en difficulté scolaire, dont le rêve secret était de devenir capitaine d’industrie, sans bien savoir ce que cela signifiait.
Aujourd’hui, le dirigeant a les idées bien claires et une force d’action à en faire rougir plus d’un. C’est avec beaucoup d’humilité et de générosité qu’il vous livre ici son expérience et ses conseils avisés autour de son parcours d’entrepreneur, de cette opération de cession, et tout le processus de préparation qui l’a accompagné.
Quelle est l’histoire derrière Edition Limitée ?
C’est d’abord l’histoire d’un jeune homme qui manque de confiance en lui à cause de sa dyslexie, et qui comprend très vite que son avenir ne sera pas dicté par son parcours scolaire.
Un bac obtenu laborieusement à 20 ans, un refus systématique des écoles de commerce, Christophe démarre par un IUT puis rejoint pendant 6 mois une école de gestion de patrimoine et immobilier. Ce qui lui manque ? Du concret !
Issu d’une famille de commerçants, il arrête ses études et part rejoindre son frère dans le sud pour travailler à ses côtés, découvrant ainsi les coulisses compliquées de la vie d’entrepreneur.
Ce qu’il comprend à ce moment-là, c’est que gérer une entreprise ne s’improvise pas, et qu’il faut combler ses lacunes. Il se fera d’ailleurs sa propre école en mettant en fond sonore quatre heures par jour pendant plusieurs années BFM Business pour développer une culture du monde des affaires tout en travaillant.
Après quelques années en tant que commercial, il entre chez l’un des acteurs importants du marché du GWP (Gift With Purchase), une expérience extrêmement riche qui lui fait découvrir le monde des grands comptes et des voyages commerciaux partout dans le monde.
Mais comme beaucoup d’entrepreneurs dans l’âme, il finit par tourner en rond dans son emploi salarié.
Un agent commercial avec qui il travaille, Jeanne, lui souffle un jour à l’oreille “tu devrais monter ta boite”. A l’époque, il faut un million d’euros pour se lancer sur son secteur, et il ne les a pas. Il décide alors de tester en off sur quelques clients avant d’officialiser sa démarche.
Le parcours d’un entrepreneur est semé d’embûches, il apprend donc sur le terrain, avec en prime des difficultés de santé qui le poussent à se dépasser.
Alors qu’il sent que les débuts de l’entreprise patinent un peu, il décide d’y aller au culot et d’aller chercher un ancien client, qu’il savait mécontent de son accompagnement chez son ancien employeur.
Il ne lâche pas le morceau et finit par remporter le deal important de plusieurs centaines de milliers d’euros, mais pas d’argent pour pouvoir l’assurer. Il rencontre alors un partenaire, qui lui prend 50% de marge mais lui permet de mettre le pied à l’étrier.
Son entreprise se développe doucement, mais il sent un premier plafond à trois millions d’euros de chiffre d’affaires, et demande à sa femme, qui travaillait chez son premier employeur dans la GWP, de rejoindre l’aventure.
C’est un premier tournant pour lui, car à ce moment il se dit “La société gagne de l’argent, je suis débordé, viens m’aider”
C’est la première fois qu’il qu’il comprend qu’il a créé une entreprise.
Sa femme attire des clients comme My little box ou Sézane, ils prennent alors des bureaux et recrutent une équipe.
Mais ils atteignent un deuxième plafond de verre, avec un chiffre d’affaires intéressant de cinq millions d’euros, mais un quotidien éreintant fait de gestion, d’enjeux, de commandes. Il poursuit les recrutements, mais rien n’est structuré, et ça se ressent à tous les niveaux de l’entreprise.
Structurer les process en digitalisant l’entreprise
En parallèle, Christophe Thuard découvre l’écosystème bouillonnant des startups avec envie, et se lance dans la création d’une entreprise digitale, en s’appuyant sur la base de données clients d’Edition Limitée.
Cette entreprise digitale ne connaît pas le succès espéré, mais lui permet de faire une rencontre décisive : Mathis Gilbert, développeur brillant qui rejoint son entreprise principale pour digitaliser et structurer l’ensemble des process.
Mathis, devenu associé d’Edition Limitée et toujours aux côtés de Christophe aujourd’hui, permet à l’entreprise d’exploser ce deuxième plafond de verre, et de lancer les prémices d’une stratégie, poussée par le processus de digitalisation :
Coder un business, ça oblige à s’interroger en détail sur chaque métier qui le compose, de rédiger précisément les fiches de mission, …
La contribution de Mathis - et tout ce qui se met en place à ce moment-là - entraîne des résultats impressionnants : les équipes gagnent en productivité et en confort de travail, mais aussi en satisfaction client. Et le chiffre d’affaires décolle encore jusqu’à six, puis sept millions d’euros.
Le chef d’entreprise peut enfin commencer à parler de stratégie : “c’est quoi le plan à 5 ans ?”
Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. On est en 2020, le Covid-19 débarque, et fait trembler la majorité des entreprises.
Mais pas Edition Limitée, qui confirme sur le terrain son choix stratégique de digitalisation et d’agilité, ayant également mis en place l’organisation en télétravail bien avant qu’il soit contraint. L’entreprise se saisit même d’une belle opportunité de marché en se positionnant sur l’import de 15 millions de masques en France, et en accumulant ainsi du cash.
C’est à ce moment-là que Christophe Thuard réalise que son modèle digital et de management sont validés.
Et c’est aussi là que le sujet de la stratégie revient : quels marchés, quels enjeux, quels clients, combien de personnes embauchées ?
L’élément déclencheur de cet adossement
“Et si ton ancienne boite te rachetait ?”
Les révélations de cette sorte arrivent souvent de manière incongrue. Dans le cas de Christophe Thuard, c’est lors d’un footing en Grèce que l’idée germe “Je vais envoyer un mail à mon comptable pour lancer la commercialisation de la société.”
L’entreprise fait 11 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle est prête à passer à la vitesse supérieure. Son ambition à ce moment-là, c’est donc de savoir ce qu’elle vaut, de la confronter à la réalité du marché.
Soit je fais un build up, soit je me fais racheter, mais j’ai besoin de sécurisation, ça fait 15 ans que je transpire. Et j’ai besoin, aujourd’hui, de la reconnaissance du marché.
La réalité, c’est aussi que l’entreprise est confrontée à un troisième plafond de verre, et que si elle souhaite poursuivre son développement sur le segment premium, elle doit conquérir le marché du luxe.
Et ça, il sait qu’il ne peut pas y arriver seul.
Enfin, le dirigeant est certain que sa société apporte une forte valeur ajoutée à ses acheteurs potentiels, à travers sa digitalisation et ses process dans un monde encore très traditionnel, mais aussi toute la démarche RSE mise en place, notamment avec le label Ecovadis platinum.
Se lancer seul ou se faire accompagner dans la cession de son entreprise ?
Fin septembre, toujours pas de réponse du comptable. Christophe s’impatiente et lance une recherche d’un cabinet, il fait alors la rencontre de Nicolas Evin, associé fondateur du cabinet Intuitu Partners.
Ce qu’il se dit en tout premier lieu ? “Je suis sûr qu’il était bon en cours lui, il est tout mon contraire”
Et c’est exactement ce qui le convainc qu’il est l’homme qu’il lui faut pour réussir cette opération.
Nicolas pose les bonnes questions, écoute attentivement les réponses, analyse toutes les données et les retranscrit rapidement avec son équipe dans un mémorandum particulièrement esthétique.
Au-delà de l’accroche humaine et du comportement adéquat, j’ai découvert une réelle complémentarité avec ce cabinet. Il répondait vite et correctement, apportait systématiquement des solutions.
Et puis nous avions clairement un ADN commun, avec le digital et la RSE. Dans leur métier aussi, les mecs sont un peu old school, eux essaient d’aborder tout cela avec plus de modernité.
La commercialisation commence, des grands groupes et quelques concurrents se positionnent. Les marques d’intérêts sont donc confirmées. Le processus de cession est lancé.
Comment on se sent émotionnellement quand on vend son entreprise créée 15 ans auparavant ?
J’ai surtout ressenti beaucoup d’appréhension : est-ce que je sors ? Quand ? Que va-t-il advenir de ma stratégie ?
La réponse a été de se donner le choix, en écoutant les expériences d’amis entrepreneurs puis en structurant sa holding pour recréer un centre de décision unique et une stratégie patrimoniale.
Le but était de préparer l’après, et de surtout ne pas se sentir enfermé, se sentir maître de la situation, peu importe l’issue des négociations.
C’est d’ailleurs dans ce contexte de négociations que le chef d’entreprise a particulièrement apprécié l’accompagnement de Nicolas, qui a su garder son sang froid et sa “poker face” pour mettre à distance ses émotions, une partie difficile du processus pour le dirigeant qui, souvent, porte et défend son entreprise depuis longtemps.
Est-ce qu’il y a des obstacles auxquels on ne s’attend pas ?
Dans son expérience, ce ne sont pas tant des obstacles que des interrogations, voire des inquiétudes sur l’avenir. La cession d’une entreprise, c’est comme le bac de l’entrepreneur.
“C’est bon, j’ai fait le taf. Mais du coup, je fais quoi après le bac ?”
Et puis beaucoup d’émotions et de changements s’entrechoquent. La peur de ne plus pouvoir décider, les difficultés qu’on n’a pas anticipées, la nécessité d’accompagner les craintes des collaborateurs, de défendre certaines méthodes, mais aussi d’accepter d’en introduire de nouvelles.
Une fois l’adossement réalisé, et sa position de COO officialisée au sein de PM Studio, il a en effet fallu faire des compromis, et affirmer sa nouvelle position, dans le cadre d’une entreprise gérée à plusieurs associés.
Mais la force de ce projet de cession, c’est que tous ces associés arrivaient à la fin d’une histoire, et partageaient l’envie d’en raconter une nouvelle. Il s’est donc opéré au moment idéal, malgré un contexte d’enjeux et de gouvernance, au sein d’un groupe d’associés qui se connaissaient déjà.
Rondement mené techniquement, le projet d’adossement a confirmé l’association de profils partageant des valeurs, des métiers, et une même vision stratégique.
Et en tant qu’entrepreneur, Christophe Thuard a pu assumer sa capacité d’exécution comme grande valeur ajoutée au projet.
Existe-t-il des qualités inhérentes à ce type d’opérations ?
“Pour savoir gagner, il faut savoir perdre. L’opération était une option, la première chose était de valider le modèle, donc on avait déjà gagné.”
Ce que requiert ce type de processus de cession, c’est évidemment une grande capacité d’adaptation, de la confiance en soi, et de la résilience pour de toute façon trouver une solution.
Et puis dans l’après, c’est aussi de savoir garder les pieds sur terre, car c’est exponentiel, et ça peut parfois amener stress et vertiges, tout en étant captivant intellectuellement !
Financièrement je pourrais m’arrêter de travailler, j’ai donc bien confirmé que l’argent n’était pas ma source de motivation. Accompagner le développement des équipes, c’est ça qui me fait lever le matin.
Ce qu’il aurait aimé savoir avant ?
Peut-être un audit croisé sur la société qui l’a racheté, et puis le fait de savoir qu’avec ce type d’opération, vous entrez dans une famille, avec ses histoires et ses conflits, cela demande donc du temps de trouver sa place. Pour sa part, c’est en apprenant auprès de ce nouvel entourage qu’il a frayé son chemin.
Il en a d’ailleurs appris beaucoup dans cette opération sur les différences culturelles. Par exemple, il a reconnu la droiture des Allemands - un des co-actionnaires est une entreprise allemande - et la dimension en comparaison plus folklorique des Français, qui participe à leur charme.
Comment se sent-on la veille du closing ?
Aussi mal que le jour J dans son cas, car le moment de la signature n’a vraiment pas été agréable, il en est reparti sonné.
Cette signature avait lieu en Allemagne, avec une immense tablée de personnes en costumes qu’il ne connaissait pas, et tous les associés présents.
A ce moment-là, il se demande vraiment “qu’est ce que je fous là ? Rien ne me ressemble, et tout me ressemble.”
Une anecdote à partager ?
Christophe Thuard raconte toujours une histoire pour représenter son mode de fonctionnement, c’est la file d’attente à la douane dans les aéroports.
Lorsqu’il arrive dans cet endroit bondé, il prend le temps d’observer le fonctionnement de chaque file. Les personnes, les douaniers, les valises, les comportements. Une fois qu’il a suffisamment observé, il choisit sa file et n’en bouge plus.
C’est exactement comme cela que ce dirigeant aguerri aborde chaque prise de décision. Il analyse, il observe et prend le temps qu’il faut. Mais une fois qu’il sait, il reste fidèle à son plan, habité par la force d’action qui le caractérise.
Un conseil pour un dirigeant qui se trouve à l’aube d’une telle démarche ?
La première chose, c’est de savoir où il veut aller, et de se donner le choix.
Qu’est-ce que je fais après ? Est-ce que j’ai un projet, professionnel ou personnel ?
Christophe Thuard partage la nécessité d’être conscient que l'interaction économique et sociale se résume en grande partie au travail. Si le dirigeant n’anticipe pas l’après, il risque d’aller droit dans le mur.
Par exemple, prévoir 6 mois de tour du monde, puis une activité légère en tant que business angel, ça ne nourrira pas le besoin de prendre des décisions et d’être écouté, qui habite tout dirigeant. Ce type de plan arrive souvent, et aboutit généralement à de la frustration, voire de la dépression pour certains.
Dans ma vie, tout est toujours planifié, j’ai une vision précise de là où je veux aller et de la manière d’y arriver, et ça prendra le temps que ça prendra. L’objectif doit rester intact, et c’est ça qui fait la force de la planification.